Consécration de l'Eglise du Crêt

Le 3 septembre 1889, de joyeuses détonations annonçaient au loin que la Paroisse du Crêt se préparait à la consécration de sa nouvelle église.

Bien que ce fût un jour ouvrable, toute la population, en habits de fête, était réunie au centre du village, grossie de groupes nombreux accourus des localités voisines.

Tous les regard se fixaient avec admiration sur le gracieux édifice, dont les lignes pures se détachaient vivement sur le fond d'azur du ciel.

L'ancienne église était insuffisante et demandait de grandes réparations; il était nécessaire de l'agrandir et de la restaurer; mais comment tenter cette entreprise, où trouver les ressources ? La Providence y a pourvu, après la mort du bon M. Paradis, par l'heureux choix de son successeur, M. le curé Tâche.

Ce pasteur intelligent et zélé a bien vite compris le désir de ses pieux paroissiens et, dans un élan de générosité qui leur a révélé les richesses de son cœur, il a offert spontanément un chiffre si rond que la question a été décidée à l'instant.

Il ne s'est plus agi d'agrandir et de restaurer la vieille église, mais de la reconstruire entièrement sur un plan plus vaste et dans un style ogival. Une liste de souscriptions a été couverte de signatures avec une unanimité édifiante. On s'est mis à l'œuvre sans retard : l'antique église a été démolie, et un édifice plus grand, d'un style pur et régulier, s'est élevé comme par enchantement, grâce à l'activité de l'habile architecte chargé de cette entreprise, grâce à la générosité, à l'empressement dévoué, infatigable, de cette population de 700 âmes; au zèle avec lequel tous offraient, avec leurs épargnes, leur temps, leurs sueurs, leurs attelages pour le transport des matériaux et, par dessus tout, grâce à l'activité, au talent d'initiative et d'organisation de M. le curé, qui , tout en demandant beaucoup à ses paroissiens, a su en obtenir tout le concours qu'il désirait, et en outre l'attachement le plus sincère et le plus reconnaissant.

La célérité avec laquelle s'est élevé cet édifice mérite l'admiration. Depuis la pose de la première pierre, deux ans et trois mois ont suffi pour son entier achèvement, sans qu'il reste un détail à compléter, un chapiteau à sculpter, une fenêtre privée de son vitrail. Et malgré la modicité des ressources avec lesquelles on s'était mis à l'œuvre, l'année ne s'écoulera pas sans que toutes les dépenses soient soldées.

D'ordinaire il faut plusieurs années pour compléter l'ornementation d'une église nouvellement construire; mais au Crêt, tout s'est fait à la fois : l'œil vigilant du pasteur a tout prévu, et la générosité des ouailles lui a permis de n'oublier aucune détail. De sorte que la nouvelle église, le jour de la consécration, s'est montrée comme une jeune épouse brillamment enrichie de tous ses ornements. Le Crêt possède aujourd'hui un sanctuaire digne de figurer au nombre des monuments les mieux conçus, les mieux bâtis, et les plus complets du diocèse. A l'extérieur, l'œil est charmé par l'harmonieuse régularité de l'édifice, par son style sobre et noble tout ensemble, par la teinte sévère de ses assises de granit, enfin par une flèche élégante, qui s'élance vers le ciel et domine toutes les églises du canton, celle de Bellegarde exceptée.

L'intérieur réunit les conditions multiples de la beauté, d'une bonne sonorité, d'une douce et religieuse clarté, et présente à l'observateur, entre autres ornements, un maître-autel en marbre blanc, des autels latéraux et une chaire en chêne, enrichis de sculptures, une gracieuse table de communion due à un habile artiste de la paroisse de Saint-Martin, enfin des vitraux dont le dessin est pur, les personnages bien réussis et la transparence irréprochable.

C'est donc de cette église neuve que Monseigneur Mermillod est venu faire la consécration solennelle. Tous les cœurs étaient dans l'attente et dans la joie. Le village du Crêt, admirablement décoré, présentait le plus ravissant coup d'œil.

Les rites de la consécration ont commencé à 6 h. ½ en présence d'un nombreux clergé. Que les prières de l'Eglise sont belles ! comme elles parlent à l'esprit et au cœur ! Cette cérémonie se partage en deux parties distinctes : la première est employée à des purifications et à des bénédictions préliminaires, la deuxième à des onctions diverses qui caractérisent l'acte de la consécration définitive. C'est une des cérémonies les plus longues, les plus solennelles et les plus mystérieuses du culte catholique. Toute la religion s'y trouve symbolisée et en quelque sorte dramatisée dans son passé, son présent et son avenir. Que d'émotions solennelles l'Eglise remue dans ce magnifique tableau de la consécration d'une église, dans ce vaste drame, où la religion, la société chrétienne et les individus, le ciel et la terre passent devant nos yeux comme un sublime et immense panorama, à la clarté du flambeau de la foi, s'exprimant par les paroles de la liturgie sacrée. Ah ! si le spectacle de la dédicace d'une église terrestre offre tant de magnificence sous la main d'un pontife mortel, quel ravissement ne saisira pas nos cœurs lorsque nous assisterons à la dédicace définitive de l'Eglise triomphante sous la main de Jésus-Christ, le Pontife éternel !

Après les chants et les cérémonies liturgiques, l'auguste Sacrifice est célébré, pour la première fois, avec une pompe exceptionnelle, dans ces murs devenus le temple du Très-Haut.

A l'évangile, M. le curé de la paroisse adresse à l'éminent prélat qui vient d'inaugurer la chaire sacrée des paroles pleines d'âme qui font jaillir les larmes de plus d'un assistant. Monseigneur a exprimé, dans une touchante et éloquente allocution ses sentiments de gratitude pour la réception si bienveillante et si chaleureuse de la veille; il a remercié tous ceux qui avaient contribué à cette grande œuvre, et a trouvé des paroles d'une exquise délicatesse pour M. le curé et pour ses paroissiens si dignes d'éloges. Sa Grandeur a eu de sublimes accents quand Elle a parlé de la dignité des temples catholiques. Sa parole apostolique sera une semence précieuse qui, tombée sur une terre féconde, germera, espérons-le, en moisson de vertus !

Extrait de l'ami du peuple publié dans le bulletin paroissial Le Crêt - septembre 1911

Eglise de Progens

 Selon la tradition locale, Claude Deplan, ressortissant de Progens, descendait avec son attelage de Châtel-st-Denis à Vevey, lorsque tout à coup, au lieu-dit "Es Ecueys", une avalanche de pierres se détachât du "Rocher de la Dame blanche" et fondit sur lui. Un immense bloc s'enfonça en terre, sur sa droite, tandis que des pierres plus petites passaient devant et derrière lui sans l'atteindre. Miraculeusement préservé d'une mort certaine, Deplan fit le vœu d'ériger une chapelle et de la doter d'une messe mensuelle.

Quand ce fait s'est-il produit ? Nous ne pouvons pas le savoir exactement. Claude Deplan a-t-il de suite mis son vœu à exécution ? Ce point reste également dans l'ombre.

Malheureusement, les premiers documents qui font mention de la chapelle de St-Barthélemy ne parlent ni du vœu, ni de la protection miraculeuse dont le fondateur aurait été l'objet. Faut-il rejeter cette tradition et la ranger dans le domaine de la légende ? Nous ne le pensons pas, car les vieilles familles de Progens ont conservé avec un soin particulier le souvenir de ce fait. Si ce témoignage n'est pas irrécusable, il garde cependant sa valeur. On peut regretter que le notaire, Martin Perrin, qui, en 1682, rédigeait l'acte de fondation des messes mensuelles, ait dit simplement que Claude Deplan avait érigé sa chapelle mu par une "inspiration divine". Quoiqu'il en soit, le fondateur de la chapelle de Progens est connu : c'est Claude Deplan, fils d'Aymon, qui l'a construite, en l'an 1677, sur sa propriété.

Le premier acte qui fasse mention de ce nouveau lieu de culte est un règlement de l'Evêque de Lausanne daté du 17 juillet 1677. Mgr de Strambino y ordonne de dire tous les mois, une messe dont la rétribution est fixée à six baches. C'est le curé de St-Martin, ou un prêtre à sa convenance qui doit célébrer ces messes, après les avoir annoncées à l'église paroissiale. Il est prévu que pour la "maintenance" de la chapelle, Claude Deplan donnera, après son décès, la pièce de terre qu'il possède au "Clos à Janin".

Un autre article stipule que les offrandes déposées en dehors de l'autel seront destinées aux réparations futures; elles appartiendront au fondateur, qui en restera le maître tant qu'il n'y aura pas de chapelain; l'Evêque reconnaît à Claude Deplan le droit de patronage, car il "pourra donner ladicte Chapelle auquel prestre qui luy plairat".

Enfin la commune de Progens donne les garanties suffisantes pour assurer soit la permanence de la fondation des messes, soit la maintenance de la chapelle.

Une chapelle s'élève dans le petit village de Progens. Elle est construite en pierres et recouverte de bardeaux. Elle est bien modeste, puisque soixante personnes à peine peuvent y trouver place. Son clocheton devra attendre encore de longues années, jusqu'en 1743, pour recevoir la cloche chargée d'appeler à l'office divin les communiers de Progens et leurs voisins immédiats.

Durant l'automne 1730, les communiers de Progens adressaient une supplique à "la très Illustre et Révérendissime Cour de l'Evêché de Lausanne "pour demander un prêtre à demeure". La requête donne les motifs : nous avons une chapelle et quelques rentes et nous sommes fort éloignés de notre église paroissiale "dans un endroit élevé entre deux eaux (la Mionnaz et la Rogigue) que souvent "l'on ne peut traverser que très difficilement"; nous sommes "d'ailleurs voisins des montages, où il tombe une prodigieuse quantité de neige, tellement qu'en temps d'hiver les chemins se trouvent impraticables et fermés, quelquefois pendant plusieurs semaines". Ayant un prêtre sur place, il sera plus facile à chacun de recevoir les sacrements et les malades ne seront pas en danger de mourir sans le secours de la Religion. Les suppliants réservent évidemment les droits de l'église paroissiale et du "Seigneur curé de cette paroisse".

Cette requête fut présentée, le 22 novembre 1730, à la Cour épiscopale, qui décida d'attendre le retour de l'Evêque absent et de demander l'avis du curé de St-Martin. Les choses en restèrent là...

Une nouvelle tentative de fonder la chapellenie eut lieu en 1766, demande qui fut refusée par Monseigneur. Cependant, trente ans plus tard, Catherine Jaccoud de Fiaugères par un codicille apposé à un testament légua mille écus petits pour établir un bénéfice d'un Révérend chapelain en la dévote chapelle de St-Barthélemy et imposa la charge de sept messes par an. Désormais, les gens de Progens pouvaient aller de l'avant. La certitude d'avoir dans la suite les mille écus, venant s'ajouter aux capitaux que possédaient déjà la chapelle, leur laissait entrevoir, un entretien convenable de leur chapelain. Le 30 mars 1797, Monseigneur J.B. d'Odet d'Orsonnens, évêque de Lausanne, a signé l'acte canonique d'érection du Bénéfice de la vénérable chapelle de Progens. La bienfaitrice Catherine Jaccoud mourut en octobre 1821 laissant la jouissance de sa fortune à son mari. Mais le 19 octobre, le notaire décréta une disposition dernière de la défunte datée du 29 août 1819 portant le transport à la Fabrique de l'église de Saint-Martin des mille écus donnés à la chapelle de Progens. On imagine difficilement la surprise, l'indignation, la colère des gens de Progens à la suite de cette déception. Il fut attendre jusqu'en 1825 pour trouver une solution qui satisfît les deux parties, la Commune de Progens trop pauvre ne pouvant soutenir un procès accepta la transaction qui lui accordait deux cents écus. Sur cette somme, elle préleva 150 livres pour ses débours et 25 libres pour la fondation d'une messe en faveur de la donatrice. Le solde, soit 225 livres, était destiné au fonds de l'entretien de la chapelle.

En 1835, Progens comptait près de 200 âmes. La chapelle était modeste, elle contenait une soixantaine de places. Elle était donc manifestement insuffisante pour satisfaire aux besoins religieux de la population. De plus, elle tombait en ruine. En 1816 déjà, lors de la visite pastorale du 26 septembre, Mgr Yenny avait prescrit d'effectuer à la chapelle les réparations convenables, de construire un confessionnal et d'établir une sacristie. Nous ignorons dans quelles mesures ces ordonnances furent exécutées. Mais vingt ans après, le 4 décembre 1838, l'assemblée communale de Progens décida, par quatorze voix contre une, l'édification d'une chapelle en remplacement de celle qui tombait en ruines.

Le plan de la nouvelle chapelle fut dressé par le maître-maçon Mossier, de Châtel-st-Denis, sur le modèle de celui de l'église de Cernait qu'il avait exécuté sous la direction de M. Weibel, architecte. La pose de la première pierre eut lieu en 1843 et la chapelle fut terminée l'année suivante en 1844. La longueur totale de l'édifice est de 23 mètres et sa largeur de 11.5 mètres. Le clocher atteint 23 mètres, 150 personnes peuvent trouver place dans le sanctuaire. La chaire est en gypse marbré, de même que les autels, qui, semble-t-il, ont été construits un peu plus tard, puisqu'ils ne figurent pas sur le devis. Les tableaux des petits autels, représentant, l'un, la Vierge Marie portant l'Enfant-Jésus, l'autre, l'apôtre Saint-Pierre, ont été peints, en 1853, par Xavier Zürcher, de Zoug, élève de Deschwanden. Le maître-autel aujourd'hui surmonté d'une statue du Sacré-Cœur, se terminait alors par une simple croix dorée. Les grandes dalles de mollasse qui recouvraient le sol de la chapelle provenaient des carrières de "la Savoyarde", situées sur la commune de Vaulruz.

Extrait du livre Progens son histoire De Gaston Bourgoin Ouvrage édité à l'occasion du jubilé de la Caisse Raiffeisen de Progens