Notre Dames des Lanzes

Avant-propos

C'est à l'érudition et à l'enthousiasme d'un mainteneur des traditions, le Gruyèrien Joseph Leiser, que je dois d'avoir retrouvé la trace et l'histoire de l'oratoire des Lanzes.

L'évocation de cette longue et fidèle piété populaire, le récit presque légendaire de son origine, le site étonnant et l'admirable petite Vierge Noire des Lanzes ont suscité chez moi un intérêt passionné mais surtout l'émotion vraie qui résulte de la connaissance de ces lieux où la foi populaire s'exprime en toute simplicité.

L'histoire de cette Madone est une histoire d'amour : très humaine entre un homme et un enfant à l'abandon ; très mystique puisqu'elle relève une dimension spirituelle authentique et durable ; très mystérieuse enfin de par le lieu choisi, évocateur de cultes sylvestre bien antérieurs au christianisme.

Mais c'est surtout une histoire touchante qui mérite d'être racontée pour la préservation des coutumes locales, et qui mérite d'être redécouverte pour son authenticité et sa lumineuse candeur. Et c'est encore une histoire actuelle, qui peut amener, par un tourisme local bien compris, à la découverte de lieux originaux, de chemins insolites et de richesses culturelles insoupçonnées.

Pour leur aide précieuse lors de mes recherches historiques et démarches diverses, je tiens à remercier particulièrement :

-Les enfants de feu Jules Millasson

-Monsieur le curé Jean-Marie Peiry

-Le Révérend Père Bertolini de la Villa Vandel

-Monsieur Walter Kammermann, ingénieur forestier

-La commune et l'Office du tourisme de Châtel-St-Denis et les Paccots

-Monsieur Jean Genoud, géomètre.

C'est un pèlerinage minuscule que l'on peut faire à Notre Dame des Lanzes, un pèlerinage intime, ou une courte méditation, ou une simple promenade.

Mais cela peut suffire au souvenir et à l'approche de l'essentiel. Edouard Egloff

L'histoire de Notre Dame des Lanzes

L'origine des chapelles et des oratoires campagnards est presque toujours basée sur une édifiante histoire qui ressemble, vue du présent, à une légende dont les héros sont des personnes ordinaires confrontées à Dieu, à la Vierge ou aux Saints. Fidèle à cette tradition, l'historique de l'oratoire des Lanzes commence en 1810... "

Un charbonnier, Jean Vauthey, établi sur les flancs de la Corbette, près du Chaussin, à un endroit appelé "Les Lanzes " rencontre un jour un enfant abandonné d'une dizaine d'années. Il le garde auprès de lui et une femme du voisinage, Françoise Millasson, s'occupe également de l'orphelin et développe sa piété, préoccupée de l'éloignement du charbonnier et de l'enfant qui ne pouvait se rendre régulièrement à la messe dominicale, elle fait don au petit d'une statuette de Notre Dame des Ermites.

Jean Vauthey et son protégé aménagent un petit oratoire, dans le creux d'un hêtre, qui sera toujours fleuri et entretenu avec dévotion. Au fil des années, la piété populaire vient tout naturellement s'exprimer dans cette chapelle de feuillage, en plein bois ; des processions s'y organisent, en particulier au lendemain de la Première Communion des enfants, pour leur consécration à la Sainte Vierge. On y laissait ses joies et ses peines, ses demandes d'intercession et bien sûr quelques offrandes qui constituèrent un petit capital destiné à l'aménagement d'un oratoire plus vaste et peut-être d'une vraie chapelle.

Le curé Joseph Théraulaz en vint à concrétiser cet espoir en réunissant du matériel de construction mais des divergences surgirent sur l'emplacement de la future chapelle et les travaux furent ajournés.

Puis un jeune prêtre, vicaire de Notre Dame de Lausanne, remplaça le curé Théraulaz et reprit avec enthousiasme le projet d'une chapelle mariale dans la paroisse : ce nouveau sanctuaire devait " être un signe sensible et perpétuel de la consécration de cette paroisse à la Mère de Dieu ; je la veux donc plus près et bien en face de ma paroisse ". La chapelle serait construite sur le flanc de Corbetta mais au sommet de la falaise qui surplombe le village de Fruence, en face de la splendide église qu'on allait bientôt élever au pied du château.

Archives paroissiales du Curé Joseph-Marie Comte, 19 octobre 1867.

Le sort de l'oratoire de Notre Dame des Lanzes est désormais scellé : les démarches officielles, les recherches de fonds, les autorisations de construire Notre Dame du Scex ( mot de vieux français signifiant " rocher ") seront toutes couronnées de succès. Le jour de la Pentecôte de l'an 1867, le 9 juin, la bénédiction solennelle de la nouvelle chapelle sera une fête triomphale.

Notre Dame des Lanzes, humble lieu de prières fréquenté par les humbles, se laissera doucement oublier dans le silence de la forêt malgré la fidélité et la dévotion de quelques personnes : une princesse de la cour de Russie et diverses célébrités qui avait fait du Chaussin un lieu de villégiature, continuent à visiter les Lanzes ; Emile Pilloud et un groupe d'amis érigent un oratoire en pierre après qu'un orage eut abattu le hêtre tout en laissant intacte la petite statue ; d'autres estivants entretiennent, réparent et fleurissent ce petit autel des bois dont les fidèles connaissent encore le chemin. Mais l'humilité de ce sanctuaire feuillu ne rayonne-t-il pas autant que l'orgueilleuse chapelle du rocher ?

L'origine d'un lieu-dit

L'orthographe du mot " Lanzes " varie selon les époques : dans les archives paroissiales, on trouve le mot écrit avec la lettre "c " :Lances. L'orthographe plus ancienne utilise le " z " initial : les " lanzes " sont des prairies étroites, en fortes pentes, parfois situées entre deux bancs de rocher ( du gaulois " lanca " : lit de rivière). Ceci définit très bien l'endroit, suspendu au-dessus des gorges de la Veveyse. Par souci d'authenticité, on utilise aujourd'hui l'orthographe d'origine

Notre Dame des Lanzes

Statuette en gyps, copie de Notre Dame des Ermites ( fin du 19ème siècle) Hauteur 18 cm - oratoire des Lanzes Précédemment placée dans une niche au cœur d'un hêtre séculaire, Notre Dame des Lanzes est actuellement visible dans un oratoire construit après que la foudre eut frappé l'arbre qui l'abritait en épargnant toutefois la statuette. La souche du hêtre est encore en place sur le site.

Le mystère des Vierges noires

Dans l'ouvrage de Pierre Guelff " Long est le chemin de Compostelle " (Editions Dedale), on trouve six explications probables et au choix de l'insolite couleur de ces représentations de la Vierge dite " Noire " ; l'auteur cite à ce sujet une plaquette consacrée à la Vierge Noire du Puy-en-Velay. "

Ce serait un noircissement occasionnel : transformation naturelle de la couleur initiale, exposition prolongée à la fumée de cierges ou de l'encens. Soit un noircissement délibéré : emploi de l'ébène, du cèdre ou d'un autre bois exotique. Il s'agit peut-être de la reproduction du type ethnique propre aux femmes de Judée, à savoir un teint basané. Il est aussi question d'une origine orientale. Dans certains cas, les drames de la peste noire sont avancés pour justifier l'existence des Vierges Noires : en effet, le peuple se tourne vers la Vierge Marie et l'incite à réagir contre le terrible fléau, en la représentant, noire comme une pestiférée. Ainsi, la mère du Christ peut mieux ressentir les affres de la maladie, selon la légende. Autre explication : c'est la survivance de croyances ou de représentations antiques. Enfin, d'aucuns prétendent que c'est une mode inspirée par la Bible et la Liturgie, ceci nous étant révélé par un extrait du Cantique des Cantiques :

" Je suis noire mais je suis belle, filles de Jérusalem, comme les tentes de Kédar, comme les pavillons de Salomon ". Ne prenez pas garde à mon teint halé : c'est le soleil qui m'a brunie....

Le charbonnier

La carbonisation du charbon de bois se fait encore, comme au temps de Jean Vauthey, par le procédé primitif des meules ; la chaleur est fournie par la combustion d'une partie du bois et des matières volatiles qu'on ne cherche pas à récupérer. La meule est formée de bûches empilées sur deux ou trois rangs autour d'une cheminée centrale, puis recouverte de feuilles ou de mousse ainsi que de terre battue.

La cheminée est alors remplie de bois enflammé et la combustion se propage assez rapidement.

On assiste d'abord à la suée puis la fumée prend peu à peu une teinte bleuâtre et devient de plus en plus transparente. On bouche alors la cheminée et on pratique des ouvertures au-dessous qui sont, à leur tour, bouchées dès que la fumée s'éclaircit, et ainsi de suite jusqu'au pied de la meule.

On laisse refroidir, puis on démolit la meule pour récupérer le charbon de bois. Pour les résineux, la meule est construite sur une aire conique au centre de laquelle débouche un conduit menant à une citerne où se condense les goudrons.

Constamment occupé à la surveillance des meules, le charbonnier vit ainsi sur son lieu de travail, en forêt. Ceci explique bien une certaine marginalisation de ces personnes vis-à-vis de la société de l'époque ; le charbonnier et sa famille, souvent pauvres, proches de la nature et de ses mystères, sont considérés comme un peu sauvage et affranchis des règles communes, et peuvent, par là même, se trouver la cible ou la source de superstition et de légendes.

On connaît celle, très fameuse, du Duc de Zäheringen qui trouva les couleurs de sa ville de Fribourg en se relevant d'un somme dans la cabane d'un charbonnier, lequel l'avait fait étendre sur un sac de charbon et un autre de farine... Et aux Lanzes, où le charbonnier vit, secoure son prochain, prie et travaille, c'est une Vierge Noire qui partage son existence et son environnement...

Quelques étapes de la restauration

La première restauration de Notre Dame des Lanzes qui figure aux archives paroissiales sera, en fait, la première construction de l'oratoire après que le hêtre eut été foudroyé. C'est Monsieur Emile Pilloud qui, aidé de quelques amis, édifiera cet autel forestier, en pierre, sur le site des Lanzes.

Une rénovation complète de cette construction initiale sera entreprise en 1956 par Messieurs Jules Millasson pour la maçonnerie, Simon Pilloud pour la charpente, Joseph Chaperon pour la couverture en tavillons, Noël Millasson pour le ferronage des grilles. Une troisième restauration interviendra en 1989 ; Messieurs Noël et André Millasson aménageront des bancs pour le repos des pèlerins et des promeneurs, puis rénoveront les peintures ainsi que le porte-grille.

Etape importante cette fois-ci ; la statue fut aussi restaurée et repeinte par Madame Paul Emonet de Tatroz. Le 15 août, jour de l'Assomption, eut lieu " dans la joie, la bénédiction de la petite statue de la Vierges des Lanzes " ( Bulletin paroissial de septembre 1989).

Celle de 1996 découle d'une autre démarche : il s'agit principalement de restaurer l'intérêt pour cet endroit hors du commun, de réactualiser la promenade pédestre qui y conduit, d'élargir cette redécouverte au sentier botanique situé entre Notre Dame des Lanzes et Notre Dame des Neiges, au centre de la station des Paccots.

Elle remet aussi concrètement en valeur un ancien four à charbon de bois découvert sur place et qui fut utilisé encore pendant la guerre de 1939-1945, le lieu de charbonnage retrouvant son antique destination.

Inauguré en octobre 1981, le sentier botanique présente plus de quarante essences forestières, toutes indiquées en français, allemand et latin, sur des plaquettes pourvues également d'une numérotation qui renvoie à la classification présentée dans " Le Sentier Botanique " du Père Schmid, ancien conservateur du jardin botanique de Fribourg. Indispensable compagnon pour cette promenade de découvertes, cet ouvrage est illustré par Rita Schöpfer ; les descriptions sont bilingues français/allemand et il se trouve disponible à l'Office du Tourisme des Paccots, à l'Union Fribourgeoise du Tourisme ainsi que dans les librairies.

Outre les plantes d'un intérêt tout particulier, la situation du sentier botanique est également remarquable ; il prend son départ à la Chapelle du Scex, suit la crête en direction du sud et de Notre Dame des Lanzes puis retourne à Notre Dame du Scex par le même itinéraire que le Parcours " Vita ", tracé, lui aussi, sur cette colline du Scex. Le sol calcaire des lieux, rocheux et " séchard ", est à la fois bénéfique à la croissance des essences du sentier botanique et à la pratique de la course et du sport en forêt.

Sur une petite surface de terrain, très idéalement exposée, à moyenne altitude, il est donc à la fois possible d'entreprendre " in situ ", une leçon de botanique, une leçon de gymnastique et une promenade touristique insolite entre tout ce qu'offre de paix les sanctuaires forestiers dédiés à Notre Dame, aux Lanzes, au Scex et aux Paccots. L'itinéraire pédestre qui conduit à Notre Dame du Scex passe également par un chemin de Croix dont les étapes pieuses grimpent à flanc de coteau et s'arrêtent près de la chapelle au pied d'un crucifix.

Ouvrages de références : Notre Dame Des Lanzes - une histoire - une prière -une promenade par Monsieur Edouard Egloff et textes de MC Dewarrat

Clichés : Abbé Bernard Schubiger et privés. E.D.